Le corps d’un homme nu est retrouvé, gisant dans une ruelle de Whitechapel (à Londres), en 2023, puis en 1941, en 1890 et en 2053. Plus étrange encore, il ne s’agit pas de quatre victimes différentes, mais bien d’une seule et même. Bodies (Corps) ouvre ainsi les pages d’un polar temporel passionnant qui se décline à travers le regard de quatre détectives.
Chaque période est représentatrice d’enjeux sociaux qui lui sont propres, s’articule autour d’un enquêteur ou d’une enquêtrice issu.e d’un groupe marginalisé, mais se voit également mise en scène suivant les codes qui s’attachent à un genre cinématographique différent. En 1890, le détective Alfred Hillinghead (Kyle Soller) découvre la victime au cœur d’un quartier qui fait office de haut lieu de prostitution masculine dans un Londres plus que puritain. Son enquête lui fait croiser le journaliste Henry Ashe (George Parker) qui éveille en lui des sentiments jusqu’alors inavoués. Ce segment se présente sous la lorgnette du drame historique. En 1941, c’est le film noir qui est à l’honneur à travers Charles Whiteman (Jacob Fortune-Lloyd), un enquêteur de confession juive qui fait face à un antisémitisme généralisé et dont l’enquête l’amène à côtoyer une rescapée de 11 ans.
En 2023, ce sont les archétypes de la série policière qui s’imposent, alors que la détective Shahara Hasan (Amaka Okafor), indo-pakistanaise et musulmane, tente de concilier vie professionnelle et familiale. Finalement, en 2053, on pénètre dans la science-fiction alors que l’enquêtrice Iris Maplewood (Shira Haas) navigue au cœur d’une utopie coercitive (donc, une dystopie) et du souvenir douloureux d’une catastrophe survenue en 2023, qui l’a laissée paraplégique. Le titre peut laisser croire qu’il réfère uniquement à la quadruple victime, mais un autre homme — un autre « corps » — se révèle éventuellement à travers chacune des périodes, tirant les ficelles d’un jeu de dominos complexe afin que se réalise un événement prophétique.
La formule de salutation « Know You Are Loved » (Sachez que vous êtes aimés), répétée ad nauseam par les tenants des forces occultes en place, n’est par ailleurs pas innocente puisque le besoin d’aimer et de l’être à son tour est au cœur des motivations de chacun des personnages. Chez les détectives, le sentiment s’incarne autour d’un amant, d’une fillette à peine croisée, d’un fils et… de l’absence même d’amour. Il constitue également la clé de voûte derrière l’ensemble des machinations en place. Adapté d’une bande dessinée de Si Spencer, publiée en 2015, la minisérie met en scène une mécanique fascinante où se révèlent mystères, complots, révélations étranges, poursuites échevelées, chantage et trahisons.
L’émotion est également toujours au rendez-vous à travers les choix bouleversants que traverse chacun des personnages. C’est particulièrement le cas de l’inspecteur Hillinghead et de la découverte de ce qu’il est réellement, entre les bras de son amant. Les risques inhérents à un postulat si éblouissant sont que la conclusion pourrait aisément décevoir et tomber à plat. Rien à craindre en l’espèce, puisque le dernier épisode remplit parfaitement ses promesses avec des arcs bien ficelés et une progression qui tient en haleine de la première à la dernière seconde.
Chaque détective, séparé par plusieurs décennies, fait ainsi face à un destin qui semble
implacable : impossible de lutter contre les lois de l’univers. À moins d’introduire dans
l’engrenage le grain de sable le plus puissant qui soit : le doute !
INFOS | Les huit épisodes de Bodies (Corps) sont présentés sur Netflix en anglais et dans un excellent doublage français.