Jeudi, 14 août 2025
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    Afroqueer de Fabrice Nguena : pour ne plus jamais courber la tête

    Durant mon séjour en France, le premier livre sur la pile que je souhaitais lire a été Afroqueer de Fabrice Nguena. Je savais que non seulement j’en apprendrais encore, que ce ne serait pas une plongée dans de la théorie, mais plutôt une rencontre avec les tripes et le cœur. Je savais qu’il y aurait, au détour d’une ligne, d’un chapitre, d’une page, de l’émotion.
     
    Et en refermant le livre sur le texte de James Baldwin, ajouté par Fabrice Nguena à la suite des témoignages, l’émotion était à son comble. Tout d’abord, j’ai rencontré plusieurs fois Fabrice Nguena au cours d’événements. Je suis son parcours sur les réseaux sociaux. C’est évidemment quelqu’un que j’apprécie, que j’aime pour être plus sincère. Je ne peux séparer l’être qu’il est de son engagement. De toute façon, je n’aime pas les frontières, tout ce qui sépare, isole, réduit. Nous avons un point commun aussi, notre admiration pour l’œuvre de James Baldwin, cet écrivain afro-américain qui, toute sa vie, s’est interrogé et a remis en question sa position d’homme noir et gai dans des États-Unis marqués par le maccarthysme.

    À la fin de l’adolescence, je tombe sur la traduction de Giovanni’s Room (La chambre de Giovanni). Une révélation. Et se poser la question : au-delà de l’homosexualité, en quoi l’histoire d’un Noir américain pouvait-elle autant me toucher, m’émouvoir ? Certes, rejeté, humilié sans comprendre pourquoi dès mon plus jeune âge par ma famille, mes pairs et mes profs à l’école puis au collège, j’avais inscrit dans ma chair ce qu’était la haine d’être différent. Mais j’étais Blanc, je n’avais pas à me heurter à une autre couche de discrimination, comme la couleur de la peau. J’avais simplement acquis que le rejet de l’autre pour quelque raison que ce soit était insupportable. Que ce soit en raison de l’orientation sexuelle, du genre, de la couleur, de la langue, des origines ou encore en raison de particularismes comme l’âge, les problèmes de santé mentale ou physique, bref tout ce qui fait que l’on devient l’objet de moqueries, de violence, ou de cette autre forme de violence que constitue la négation de l’autre par l’indifférence. La lecture des livres de James Baldwin, à l’approche de la vingtaine, me donnait le sentiment d’être moins seul, me laissait croire qu’il y avait quelqu’un, quelque part, qui mettait en mots ce que je ressentais confusément, qui m’ouvrait des pistes de réflexion.

    Aujourd’hui encore, et ayant poussé un peu plus loin mes lectures sur le racisme, je reste étonné par la place des minorités culturelles et afro-descendantes dans la hiérarchie sociale et par le peu de présence qu’elles occupent, plus on monte dans cette fameuse hiérarchie. Et l’on peut porter le même regard sur nos communautés. Une photo prise à la Garden Party organisée par le premier ministre, François Legault, montre des représentants d’organismes, présidents ou directeurs généraux, entourant la ministre de la Lutte contre l’homophobie et la transphobie, tout ce monde un verre à la main. Pas une seule personne noire, ni même appartenant à d’autres minorités dites « visibles ». À ma connaissance, seul l’organisme Fierté Montréal a, dans son équipe, autant de personnes issues de ces mêmes minorités dites « visibles ».

    Un exemple, mais je pourrais le multiplier par dix, par cent. Je fais peut-être un long détour, mais c’est à partir de ce contexte encore marqué par le racisme et le racisme systémique que les témoignages colligés par Fabrice Nguena nous éclairent et secouent notre petit confort de Blanc occidental. Une nécessité, aujourd’hui, quand on voit la renaissance de la haine, du racisme et de l’homophobie aux États-Unis, comme en Europe. Et le livre Afroqueer apparaît comme une des nombreuses planches de salut possibles, si nous ne voulons pas finir noyé.e.s.

    Les personnes, 24 en tout, qui ont accepté l’invitation de Fabrice Nguena de témoigner sont au Québec, en Afrique, en Europe et elles ont toutes un point commun : pas seulement d’être noir.e.s, mais d’avoir vécu dans leur chair cette fameuse haine de l’autre en raison de leur origine. Et loin de se vivre comme des victimes, ils, elles, et iels ont décidé de relever la tête, de ne pas attendre et de devenir les acteurs et les actrices de leur propre destinée, de celles de leurs frères et sœurs.

    Nous leur sommes toustes redevables. Car l’Autre, quel qu’il, elle ou iel soit, lorsqu’on l’accueille avec simplement un peu d’humanité, ne nous prend rien, ne nous enlève rien, bien au contraire, il, elle, ou iel nous apporte, nous enrichit, car comme je l’ai découvert grâce à Fabrice, je suis parce que nous sommes (proverbe africain). Un rappel essentiel. L’autre est différent et par sa différence m’est semblable, d’où la nécessité d’être engagé.e.s et solidaire.s. Nous en avons furieusement besoin en ces temps où l’obscurantisme revient en force. En ce sens, la lecture d’Afroqueer devient alors une
    lecture indispensable. Très bonne Fierté dans la joie, la solidarité et la résistance.

    Afroqueer, 25 voix engagées Fabrice Nguena Écosociété, 2024

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