Après avoir publié deux romans acclamés, Aphélie et Les filles bleues de l’été, Mikella Nicol revient à l’avant-scène avec Mise en forme (Cheval d’août), une œuvre mariant l’essai sur l’industrie du fitness et un récit infiniment personnel sur une période de rupture et de dépression durant laquelle elle a plongé tête première dans l’entrainement. Pour le meilleur et pour le pire.
Quelle a été la bougie d’allumage pour écrire là-dessus ?
Mikella Nicol : Les mots des entraineuses sur Internet : elles ne savent pas qu’elles font quasiment de la poésie, tout en véhiculant aussi certaines absurdités. En partant de comment je recevais ces paroles, j’ai eu envie d’avoir un propos proche de l’essai. Quand je faisais des recherches sur des textes scientifiques à propos de leurs pratiques, j’ai constaté que j’étais toujours capable de faire résonner mon ressenti avec ces connaissances théoriques.
Comment vis-tu le fait de te révéler à travers la littérature pour la première fois ?
Mikella Nicol : Mal ! (Rires.) J’apprivoise cette idée-là depuis que j’ai eu du financement pour écrire le livre et que mon éditrice a accepté le projet en lisant des fragments. Je crois avoir pensé à l’idée que les gens aient accès à ça tous les soirs avant de me coucher pendant deux ans. Je voulais raconter cette histoire, mais en même temps, c’est contraire à ma personnalité relativement prude. Je l’ai fait parce que je trouve que cette histoire est universelle, du moins chez les femmes de ma génération. C’est ce qui m’a convaincue de me faire un peu violence.
En plus d’une rupture, d’un déménagement, d’une perte de poids et d’inquiétudes chez tes proches, tu as vécu une période durant laquelle ton écriture s’est tarie. Qu’est-ce que ça te faisait ?
Mikella Nicol : Oh mon Dieu ! Puisque j’ai commencé à publier assez jeune, l’écriture était devenue mon identité. J’ai donc vécu une redéfinition de soi pendant ma dépression. Je ne savais pas par où commencer. Je continuais à écrire pour des commandes, mais je savais que ce n’était pas bon, même si tout le monde me disait le contraire. J’avais du mal à composer avec la situation, parce que j’avais des choses à dire, mais j’étais incapable d’écrire. Ça jouait sur ma valeur.

Tu t’es investie dans le fitness, une activité qui occupait déjà une grande place dans ta vie. Pourquoi ce besoin de t’engouffrer dans un univers corporel ?
Mikella Nicol : Le premier chapitre du livre cherche à comprendre si ça m’aidait ou si ça me nuisait. On dit souvent que pour la dépression et la déprime, l’exercice est la solution. En sortant de l’entrainement, tu es épuisé, tu ressens les effets des endorphines, tu vas prendre ta douche. Ton agenda se remplit de lui-même. Pendant ce temps, tu penses moins. Pourtant, les discours du fitness sont aussi très nocifs. Tu ne sais plus si tu t’aides ou si tu te cales. Bref, je voulais comprendre mon impulsion, qui en était beaucoup une de contrôle. Quand tout s’effondre autour de nous et qu’on perd nos repères, on est tellement défini par notre apparence physique qu’on se dit qu’on peut s’accrocher à ça parce que ça demeure une constante. Si je perds ça, il ne me reste littéralement plus rien. Pourtant, ce n’est pas nécessairement vrai. Et c’est une recherche de beauté unidimensionnelle qui est
super toxique.
Le fitness était une façon de te reconstruire physiquement et de structurer tes pensées, mais aussi un moyen de disparaitre et d’apparaitre. Explique-moi cette dualité.
Mikella Nicol : Ça peut sembler un peu psychotique, car il s’agit d’obsessions qui ne s’expliquent pas toujours rationnellement. Cette idée de la disparition vient du fait que j’ai grandi dans les années 1990-2000, alors que le modèle de beauté était celui du corps anorexique. Quand on regarde des photos de la culture populaire de ces années-là, c’est malaisant. C’est la maladie. À partir du moment où l’idéal que tu poursuis est un corps malade, c’est sûr que tu t’imposes une certaine disparition. En même temps, comme c’est un standard de beauté, tu apparais aussi dans les yeux des autres. C’est une dissonance cognitive énorme qui rend un peu fou. Je me fais du mal, mais j’ai des bénéfices à ça. La punition de soi est gratifiée. Ça devient difficile d’en sortir.
Que cherches-tu en essayant de cracker le code du fitness ?
Mikella Nicol : C’est particulier, car c’est un loisir que j’aime moins que l’écriture, la lecture ou passer du temps avec mes proches. C’est une activité à la limite du narcissisme, axée sur quelque chose de superficiel. Alors, je cherche à comprendre pourquoi ça m’habite autant. C’est pas en concordance avec mes valeurs et ce que je veux considérer comme beau et sain, mais je le fais quand même. Je veux cracker le code de cette industrie et de pourquoi je suis là.
Tu analyses le fait que le fitness a dérivé vers l’univers du self-help, alors qu’il t’a également poussée vers le précipice de la dépression et de l’anxiété. Avais-tu l’impression de ne pas correspondre aux standards ?
Mikella Nicol : Peut-être que je ressentais mon échec personnel par rapport au corps et aux résultats esthétiques, mais au niveau de ma santé mentale, ça a ouvert la dernière porte qui m’a permis d’écrire ce récit. Je voyais toutes les lacunes dans ces discours. Ça m’est apparu comme une supercherie. On vit dans une époque où on dit qu’on accepte les corps différents et qu’on prône le body positivisme, mais dans le fond les standards n’ont pas vraiment changé. C’est comme un subterfuge pour continuer à les promouvoir tout en ayant l’air sain et inclusif. J’ai vu la grande joke derrière ça.
Aujourd’hui, où en es-tu avec la pression de t’améliorer éternellement ?
Mikella Nicol : J’ai plus de mal à me départir de l’idée que l’amélioration est un processus sans fin que d’un standard particulier. En vieillissant, certaines priorités se déplacent. L’idée de travailler sur soi éternellement est difficile à mettre de côté, même si j’aimerais ça, parfois. Cela dit, je me sens plus en équilibre et en sécurité mentale.
INFOS | MISE EN FORME de Mikella Nicol, Cheval d’août Éditeur, 2023