En 1980, Al Pacino interprète un policier qui infiltre des bars cuir/BDSM afin de mettre la main sur un tueur en série qui s’attaque aux hommes gais. Recette d’un film à succès ? Pas vraiment, puisque celui-ci était attendu avec une brique et un fanal par cette même communauté. Le vidéaste Web Matt Baume présente les coulisses de ce conflit.
Après l’immense succès des films French Connexion et L’exorciste, William Friedkin connaît un creux de vague. C’est alors qu’il est interpellé par l’arrestation de Paul Bateson, accusé d’avoir assassiné plusieurs hommes gais de New York. Cette histoire lui rappelle un roman de Gerald Walker (Cruising/Chasse à l’homme) qu’il avait déjà songé à adapter. Bien qu’il ait déjà réalisé un film à thématique gai (The Boys in the Band / Les garçons de la bande), Friedkin ne connaît rien à l’univers de la drague entre hommes et encore moins au milieu BDSM.
Un policier le met donc en contact avec le crime organisé, qui contrôle alors la majorité des bars gais. C’est ainsi que les deux hommes pénètrent au Mineshaft, en plein cœur d’une soirée jockstrap, où ils se voient obligés de respecter le code vestimentaire. Véritable choc culturel pour le réalisateur qui fréquentera assidument plusieurs autres bars afin de documenter son film.
Il constate que ces derniers sont contrôlés par une étrange alliance entre la mafia et les forces policières, créant un univers placé sous le signe de l’homophobie, de l’humiliation et de l’exploitation de la communautée gaie. Il décide donc de faire de cette trinité la trame de fond de son film. Le problème est que le scénario éliminera d’emblée ces éléments, le réalisateur ne souhaitant pas se mettre à mal avec ces deux puissances. Ne reste donc qu’un portrait parfois assez glauque de meurtres en série et de scènes de domination ou de soumission, sans qu’un réel développement de personnages y soit associé. Seulement deux rôles sont d’ailleurs associés aux personnages gais : victime ou agresseur. Par ailleurs, le script (et le film) se conclut par le sous-entendu étrange d’une transmission de la psychose meurtrière entre deux hommes.
Dès le début du tournage, un membre de la production transmet le scénario à un journaliste du Village Voice, Arthur Bell. Celui-ci est ulcéré par la représentation du milieu gai, mais surtout du fait que le héros est un policier, alors que les forces de l’ordre piègent des hommes gais depuis des décennies et, en réalité, ne s’intéressent que peu aux crimes dont ils sont victimes. Selon lui, le film ne porte pas tant sur le mode de vie des hommes gais, mais contribue plutôt à établir pourquoi ils méritent d’être tués. Il n’en faut pas plus pour qu’une guérilla se mette en place et que des manifestations perturbent les lieux de tournage. Les techniques utilisées par les manifestants sont d’ailleurs à la fois ingénieuses et assez amusantes.
Le film ne rencontrera qu’un succès mitigé, mais a depuis connu une certaine réhabilitation, notamment auprès de Quentin Tarantino qui le compte parmi ses films favoris. Le documentaire est agrémenté de nombreuses anecdotes savoureuses et se conclut par le portrait d’une homophobie encore flagrante chez plusieurs corps policiers et d’un désintéressement conséquent à l’endroit de la violence envers les communautés LGBTQ.
INFOS | La chaîne de Matt Baume analyse l’histoire des productions cinématographiques et télévisuelles LGBTQ. Le documentaire The Problem with Cruising (1980) est disponible, en anglais, sur sa chaîne YouTube.
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